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Nabil El May: «Nier ma surdité ne m’a pas aidé»

26 janvier 2025

Publié le :

Âgé de 34 ans, le Genevois Nabil El May est sourd depuis son plus jeune âge et implanté cochléaire à 14 ans. Diplômé de la prestigieuse École Hôtelière de Lausanne, il raconte son long chemin pour se réapproprier son identité de sourd.


Depuis quand êtes-vous malentendant ?


En fait, je suis sourd. Et j’ai longtemps pensé que j’étais né sourd. Ce n’est que récemment que j’ai compris qu’en réalité c’était un déficit auditif qui s’est progressivement péjoré jusqu’à une surdité totale, à l’adolescence.


Êtes-vous appareillé ?


Je l’ai été dès l’âge de deux ans. Et puis à l’âge de 14 ans, j’ai été implanté cochléaire, d’un seul côté. Je n’entends donc aujourd’hui que d’une seule oreille, celle qui a été implantée…


On a du mal à croire que vous êtes sourd, à voir comment vous vous exprimez et interagissez…


Eh bien c’est un problème pour moi (Rires) ! Car le fait que je m'exprime aussi bien invisibilise encore plus mon handicap qui est bien réel. Et puis, cette qualité d'élocution relève surtout d’un énorme travail avec des logopédistes…


Comment s’est déroulée votre scolarité ?


J’ai grandi à Genève et mes parents ont fait le choix de me scolariser dans le privé, avec l’idée que cela allait favoriser mon adaptation. Les classes y étaient plus petites, l’encadrement et le soutien des enseignants, optimal. Tout cela compte énormément quand on a un handicap auditif. D’autant que dans l’intervalle, j’avais fait une expérience vaudoise dans l’enseignement public et cela n’avait pas été très concluant, en particulier sur le plan émotionnel.


Les choses se sont-elles arrangées ?


Oui dès lors que je suis revenu dans le privé, tout en procédant à l’implantation cochléaire, j’ai été libéré en quelque sorte. C’était une nouvelle vie et j’ai réussi à décrocher ma maturité.


Vous entamez ensuite des études à l’École Hôtelière de Lausanne (EHL), pourquoi ce choix ?


Depuis tout petit, j'ai toujours eu envie de travailler dans ce monde qui me passionne. Et puis, je viens d'une famille orientale où l'hospitalité et la convivialité sont très importantes…


Tout de même, tenter une formation dans l’hôtellerie quand on est sourd, il fallait oser…


C'est vrai que les conseillers d'orientation m’ont plutôt suggéré des filières où l’aptitude à la communication était moins importante. Mais je ne les ai pas suivis, je voulais absolument intégrer l’EHL et son prestige (Rires).


Et à l’inverse, l’EHL a-t-elle accepté sans difficultés votre candidature ?


Il y avait bien sûr une sélection à l’entrée. Mais l’EHL étant une école qui aime cultiver la différence, j’ai joué de mon handicap que j’ai présenté comme un atout. Et cela a marché !


Comment se sont déroulées vos études ?


Même dans une école comme l’EHL où les gens sont sensibilisés à la question du handicap, la réalité finit souvent par reprendre ses droits. Au début on s’adapte à la personne sourde, mais sur la durée c’est plus difficile, d’autant qu’il s’agit d’un handicap invisible. Avec le recul, je dirais qu’il n’a pas été facile pour moi de trouver ma place même si finalement je me suis adapté en me plaçant au premier rang durant les cours et en expliquant mon problème aux enseignants qui du reste étaient très compréhensifs… Il m’a quand même fallu beaucoup travailler pour compenser et j’ai passé bien du temps à la bibliothèque (rires).


Vous décrochez votre diplôme en 2015. Que faites-vous ensuite ?


Après quelques stages dans le tourisme, je fais durant une année un master en stratégie internationale, à Lancaster en Grande-Bretagne. Et en 2018, je vais travailler à Paris comme « Ambassadeur » pour un hôtel de la chaîne citizen M.


Et aujourd’hui, que faites-vous ?


Je travaille toujours pour la même chaîne, mais ici à Genève. Et puis en avril dernier, j’ai pris des responsabilités au sein de la Fédération suisse des sourds (FSS) comme représentant « Suisse romande ». J’ai donc aujourd’hui deux emplois !


Pourquoi avez-vous réduit votre engagement dans l’hôtellerie ?


L'hôtellerie reste pour moi un challenge, même si je n’ai pas pu évoluer dans la hiérarchie comme je l’aurais souhaité, probablement en raison de mon handicap auditif. Et puis, j’ai longtemps évolué dans une sorte de déni de la surdité et cela ne m’a pas aidé. J’avais donc besoin de mon réapproprier mon identité de sourd. La FSS représentait une opportunité de le faire tout en œuvrant à des solutions d’inclusivité. Pour cette raison, j'aimerais d’ailleurs m'investir dans des projets d'inclusion dans l'hôtellerie. En tant que personne qui est dans les 2 mondes, puisque je ne suis pas un sourd signeur, je suis convaincu que je peux beaucoup apporter.

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