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« Ma malentendance a été un prétexte pour me nuire »

4 août 2025

Publié le :

Éducatrice spécialisée au sein d’une importante institution sociale romande, une quinquagénaire témoigne sous anonymat pour raconter à quel point son handicap auditif a été complexe à gérer sur le plan professionnel. Instrumentalisation, incompréhensions, mauvaise volonté des directions successives, harcèlement, conflits et arrêts maladie ont émaillé ses 25 ans de carrière.

Appelons la Jacqueline, même si ce n’est pas son vrai prénom. Mais cette quinquagénaire malentendante tient à garder à tout prix son anonymat et la photo que nous publions est une photo d’illustration. Par peur de représailles, car elle occupe toujours son emploi d’éducatrice spécialisée au sein d’une institution sociale romande. Mais malgré la crainte, elle tient absolument à témoigner et raconter son parcours de professionnelle malentendante, avec tout ce qu’il peut impliquer de rejets, d’incompréhension et même parfois de malveillance.

Jacqueline est probablement née malentendante. Mais étonnamment, il a fallu de longues années pour que le diagnostic de perte auditive soit formellement posé. Elle a 26 ans, et plus de 40% de perte pour chaque oreille. Le retard du diagnostic s’explique par ses exceptionnelles qualités d’adaptation, en particulier en termes de lecture labiale, elle à qui l’ORL a déclaré sans ambages : « Je ne sais pas comment vous avez fait !».

Comment elle a fait ? La réponse est simple : une implacable volonté, qui explique qu’elle a pu malgré les difficultés – et la fatigue ! - suivre sa scolarité obligatoire, décrocher une maturité, puis son diplôme d’éducatrice spécialisée, un choix de cœur.

Horaires irréguliers

En 2000, elle s’engage dans la vie professionnelle avec l’espoir de mener une existence agréable, elle qui aura par la suite deux enfants. Elle est appareillée et se montre particulièrement confiante et motivée.  Seulement voilà : bien que passionnant, le métier est difficile et surtout, éreintant avec ses horaires irréguliers et ses colloques professionnels qui rassemblent beaucoup de monde, mettant à rude épreuve ses capacités auditives. « Sans m’en rendre compte, j’ai fait des tonnes d’efforts et nombre de mes collègues ne se rendaient même pas compte des difficultés que j’éprouvais. Beaucoup de gens, y compris des médecins, sont persuadés que l’appareil règle tout, ce qui est évidemment loin d’être le cas » explique-t-elle.

Plus qu’avec ses collègues, c’est souvent, au cours de ses 25 années de carrière, avec la hiérarchie qu’elle a le plus de mal, qu’il s’agisse de ses responsables directs ou plus grave, du département des ressources humaines. Au bout de quelques années, démarre ainsi une interminable litanie de congés-maladie, de changements de poste et de conflits plus ou moins larvés. Avec à chaque fois, une difficulté : obtenir un poste de travail à horaires fixes qui puisse lui permettre d’exercer son métier sans trop d’épuisement. En vain.

Détection précoce

Elle décide alors de contacter l’AI dans le cadre des mesures de détections précoce. Une coach spécialisée dans la surdité est mandatée et rédige dans la foulée un rapport qui, fort logiquement, préconise son placement au sein d’équipes restreintes et avec des horaires réguliers. Las… Non seulement le rapport restera lettre morte, mais il sera suivi au gré des directions successives, d’intimidations et même d’exploitation de son handicap : « On a même tenté de me licencier sans aucune base, en osant prétendre que je pouvais représenter un danger pour les équipes et pour les personnes dont je m’occupais », s’insurge-t-elle encore aujourd’hui. Et les manœuvres d’intimidation se poursuivent: on la place en tant que stagiaire, elle qui pouvait se prévaloir de plus de 15 ans d’expérience, on met au concours son poste de travail alors qu’elle y exerce encore etc…

Et puis un jour, elle décide de ne pas se laisser faire, mobilise les syndicats et mandate un avocat. Les tensions sont à leur comble mais elle tient bon, malgré les difficultés, et les absences pour maladie, tant elle est affectée par le harcèlement qu’elle subit. « Il était hors de question que j’accepte le blâme qui m’avait été adressé, et encore moins que l’on puisse insinuer que je pouvais être maltraitante ou dangereuse, moi qui ai consacré tant d’efforts et de dévouement à ces personnes auxquelles j’ai consacré ma vie ».

Hache de guerre enterrée

Heureusement, sa détermination paye et la hache de guerre enfin enterrée. Depuis quelques années, Jacqueline a repris son travail dans un poste plus adapté à sa perte auditive, et son quotidien se déroule correctement, même si le métier, handicap ou pas, reste difficile pour tous ceux qui l’exercent.

« Plusieurs facteurs expliquent la très pénible expérience professionnelle que j’ai vécue, résume-t-elle. Il y a d’abord le milieu du soin qui est à la fois très féminin et très exigeant, mon caractère qui fait que je ne me laisse pas faire, et puis enfin ce handicap invisible si péjorant dans le monde du travail et qui est en plus très mal connu, voire pas reconnu. En tout cas, je n’ai pas rencontré beaucoup de bonne volonté, et pire encore jamais je n’aurais pensé qu’on aurait pu l’utiliser pour tenter de me nuire ».

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