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Port du masque et discrimination : le combat épique d’une malentendante lausannoise

27 janvier 2021
Publié le :
Comment expliquer qu’elle ne peut pas porter de masque, et qu’en même temps les autres doivent retirer le leur pour qu’elle puisse les comprendre? Depuis des mois, malentendante et asthmatique, Carmen Gomes se bat à coups de lettres et courriers officiels pour faire entendre, dans les magasins, son droit à ne pas circuler masquée.
C’est une lutteuse qui a pour habitude de ne pas s’en laisser conter. Et pour cause. Elle est femme, métisse, et malentendante depuis sa naissance. Une déficience auditive de cause génétique probablement, puisque son père et son frère sont atteints du même mal. Et ce n’est pas tout, puisque cette Lausannoise d’origine thaïlandaise, zaïroise et portugaise, souffre également d’un asthme sévère.
Malentendante et asthmatique : un cocktail détonnant en cette période difficile de pandémie de coronavirus, qui généralise le port du masque pour toute la population, afin d’éviter la propagation de la maladie. Seulement voilà : le masque justement, est pour Carmen Gomes, un énorme problème. Le masque que les autres portent qui l’empêche de lire sur les lèvres et déchiffrer les propos qu’on lui adresse, mais aussi le masque qu’elle-même est censée porter. Car par dérogation médicale, en raison de ses problèmes respiratoires, elle est légalement autorisée à ne pas l’arborer dans les lieux où il est pourtant requis.
Calvaire…
Et c’est là que le calvaire commence cette psychologue de formation qui a longtemps travaillé dans l’humanitaire et qui aujourd’hui a fondé sa petite entreprise de service intérimaire pour les petits commerces ...
Car cette séquence elle l’a vécue mille fois : entrer sans masque dans un magasin ; se faire apostropher parfois méchamment à l’entrée par le personnel, avant même qu’elle n’ait eu le temps de s’expliquer ; dans la foulée, ce même personnel refuse de retirer son masque pour lui permettre de comprendre.
« Il s’exerce contre nous une véritable violence sociale en rapport avec le port masque explique-t-elle. Quoi que j’aie pu faire, c’est une impasse, or j’ai absolument besoin de faire mes courses, comme tout le monde d’ailleurs. Le pire c’est que dans la très grande majorité des cas, on refuse de prendre en compte ma dérogation, parfois même de la lire, arguant de soi-disant directives, alors que la loi prévoit expressément des exceptions ». A chaque fois, parfois deux jours de suite dans le même magasin, Carmen doit expliquer et réexpliquer, encore et toujours, sans être entendue. « C’est un calvaire, même mes amis refusent de m’accompagner dans les magasins désormais car ils ne supportent plus l’agression à laquelle ils assistent », déplore-t-elle. Alors systématiquement, sans se laisser démonter, à chaque magasin, elle demande à rencontrer le responsable pour expliquer son problème, sa situation, son droit aussi à pouvoir faire ses courses sans masques et obtenir que les caissières retirent temporairement le leur lorsqu’elles s’adressent à elle.
Ainsi, devant l’évidence de la discrimination au quotidien, devant l’absurdité de l’application de directives imaginaires malgré l’évidence de la loi, Carmen Gomes fait ce qu’elle sait si bien faire : se battre. Elle multiplie inlassablement les courriers aux responsables de magasins, y compris aux directions faîtières en Suisse allemande, mais aussi au médecin cantonal vaudois, à la conseillère d’Etat vaudoise en charge de la santé et même au Conseiller fédéral Alain Berset. « Je suis un peu désespérée explique-t-elle. Pas pour moi qui ai encore la force de me battre. Mais c’est pour ceux qui n’y arrivent pas, qui n’ont pas toujours la force de le faire, ceux pour qui finalement je mène ce combat. Ils sont plus d’un million en Suisse, mais on ne voit pas leur handicap invisible! »
Petites victoires
Et Carmen ne fait pas qu’écrire. Elle se rend à chaque manifestation, y compris celle qui n’ont aucun lien avec la surdité, pour sensibiliser le grand public à la problématique du masque, et ce à l’aide d’immenses panneaux qu’elle arbore fièrement. « Cela en vaut la peine, explique-t-elle. Chaque fois qu’ils me voient, les gens très étonnés me disent : nous n’y avions jamais pensé, mais c’est vrai que c’est un grand problème tout de même ».
Mais il n’y a pas que les prises de consciences. Carmen Gomes obtient à l’arraché, de véritables petites victoires et de plus en plus de magasins consentent des efforts méritoires. Tel directeur d’enseigne finit ainsi par sensibiliser son personnel au problème du port du masque pour les malentendants. Tel autre, après moult discussions, finit par s’engager à acquérir des masques transparents pour son personnel. Des avancées qui n’entament pas sa détermination : « Parfois je suis vraiment épuisée mais je continuerai à me battre jusqu’à ce que j’obtienne des réponses à tous mes courriers, avertit Carmen. Il est important que les handicapés puissent faire leurs courses sans discrimination et sans agressivité ni déni de la part du personnel des magasins ». Et de conclure : « Au fond, cette pandémie a révélé la vraie nature des gens, et cela a été une vraie claque pour moi de constater que notre société ne sait pas prendre soin de ses minorités et des plus faibles ».

Des exceptions pourtant claires
Depuis le début de la pandémie, la question du port du masque ne cesse de poser des difficultés aux malentendants, alors que les dispositions réglementaires sont sans équivoque : en novembre, lors d’un point presse de l'Office fédéral de la Santé publique, Urs Germann, collaborateur scientifique au Bureau fédéral de l'égalité pour les personnes handicapées BFEH, a évoqué l'adaptation des règles du port du masque dans l'environnement direct des personnes sourdes et malentendante, précisant de manière explicite : « Par le port du masque, la lecture labiale dont dépendent certaines personnes avec un handicap auditif pour la compréhension, est rendue plus difficile. Si la distance peut être assurée, le masque peut être retiré par des médecins ou d'autres personnes pour aider la personne à mieux comprendre. Cette règle peut également être appliquée par toute autre personne, par exemple du personnel dans la vente ». Si elles se disent sensibilisées à ce problème, comme la présidente du conseil d’Etat vaudois Nuria Gorrite qui en conférence de presse télévisée a retiré son masque « pour être comprise des personnes malentendantes », force est de constater qu’il reste encore beaucoup à faire.bottom of page